Puni » à l'âge de 7 ans, pour la cause algérienne.
1er Novembre 1954 et 1er Novembre 2014. Pour célébrer ce soixantième anniversaire du déclenchement armé, j'aimerai bien rappeler ma petite participation à cette lutte, un peu à ma manière. Ma première contribution au blog de l'un de mes meilleurs amis. Une amitié qui s'étend sur plusieurs abords : d'ami de classe, de lecture commune, jeux en commun, randonnées et complicité. A part le blogueur, il y a Rabah et le regretté Ali. Ils se reconnaissent, car il n'y a pas qu'un Rabah et qu'un Ali parmi mes compagnons de classe qui ont cette quadriptyque.
Les moudjahidine de Djendel devaient avoir un contact avec le peuple. Il faut bien le tenir au courant de son action, collecter les dons, contrecarrer la propagande adverse? Après la tombée de la nuit, ils furent chez nous. Ils étaient trois. Après s'être restauré, débrayé un peu, le commissaire politique tira le drapeau algérien et commença son discours par cette phrase : C'est pour cet emblème là que nous combattons, tout en exhibant ce qui sera désormais notre emblème national. Il nous expliqua le sens des couleurs et des figures qu'il contient, ainsi que le sens d'Allah Wakbar tracé en fil d'or. A la place, donc, du tricolore colonial qui désormais va rejoindre son milieu naturel, la France. C'est le tricolore à nous qui flottera dans un proche avenir. C'était la première fois que je voyais notre drapeau à nous. Rien à dire il est apaisant par son vert, reposant par son blanc et vif, vigilant par son rouge. Je pensais au sang en l'explicitant par le sang des martyrs. Comme dans tous les drapeaux du monde.
Il s'agissait, dans le discours du moudjahid, du rapport des différentes actions menées contre les colons ou l'armée impérialiste. C'était, donc, un discours pour les grands et j'avais pu écouter clairement, et pu avoir une vue générale de la situation non sans quelques points d'interrogation. Oui, je ne comprenais pas pourquoi ces soldats, si gentils avec nous, avaient-ils, pu commettre l'attaque d'un bourg qui vivaient déjà dans la misère ? Pour quelle raison avaient-ils éliminé mon oncle ? J'écoutais, vu mon âge, quand-même aux statistiques de guerre. Si'Hmed m'observait et attendit la fin du discours, pour me mettre son fusil sur mes épaules souhaitant, quand je serai grand, qu'il serait à moi de continuer le combat. On avait un peu ri avec ce fusil plus long et trop lourd pour ce petit bout d'homme que je fus à l'âge de sept ans.
Le lendemain matin, j'avais constaté qu'on nous avait laissé cette bannière tricolore, à la demande de ma mère, pour modèle à la confection d'exemplaire pour les solliciteurs. Je l'ai vite adoptée comme on adopte les bonnes choses. Et dans ma petite tête, le vert prit le dessus sur le bleu avec lequel je n'avais aucun lien d'approche sauf l'école française où je ne l'ai remarqué sauf dans le livre d'histoire. C'est que nos voisins et nos connaissances avait déjà sollicité ma mère pour le leur confectionner. Elle était couturière à ces heures libres du ménage. Elle confectionnait de jolis vêtements pour femmes et raccommodait celles des hommes. Cette machine lui avait été presque cédée pour rien par mon oncle chahid. Une Singer qui échappa à un abominable incendie perpétré par les soldats français. Elle fut réparée et ajustée à une nouvelle table. La chambre de notre héros de famille et celle de son frère qui l'avoisinait, avaient été réduite en cendre par une bombe incendiaire. Ils furent suspectés de relation avec les moudjahidine.
Je l'aidais à tracer le croissant et l'étoile. J'étais doué pour la géométrie. Les gens nous apportaient, avec vigilance et en cachette, de jolis tissus verts, blancs et rouges. Elle commençait par la coupe de l'étoffe soyeuse. Je me chargeais du croissant et l'étoile. Pour le croissant, c'était facile avec le bord d'une assiette que je déplaçais sur du papier fort. Pour l'étoile, il suffit de placer cinq points pentagonaux sur un cercle à l'aide d'un compas et de les unir en un pentagone régulier croisé. Les patrons, ainsi conçus, permettaient à ma mère de découper, dans le tissu, les éléments rouges de notre emblème. Ma génitrice après un tour de pédale de sa machine à coudre, elle en sortait de jolis exemplaires de notre vert-blanc-rouge assorti de mots écrits en arabe. On ne nous apprenait pas l'arabe à l'école. Il suffisait de leur accommoder une lance ou une hampe et on pourrait être fier d'avoir chez soi une distinction nationale forte, un insigne patriotique pour relever une identité trop longtemps frustrée. Même que cette fraternité qui liait les deux groupes ne suffisait pas à la relever.
Quelques jours plus tard, j'étais en classe. Mohammed, mon ami de table, était là, à mes côtés, comme chaque matin. C'est un petit garnement très arrogant. On l'appelait Mohammed le baroudeur. Il était imprévisible mais je ne me plaignais pas trop de lui. Ce jour, Madame l'institutrice était en train d'effacer le tableau pour débuter son cours et n'attirait pas notre attention. J'en avais profité pour lui faire part de mon secret. Je sentais détenir un secret que je m'imaginais le détendre seul parmi mes amis de classe.
- Tu sais comment est notre drapeau, Mohammed ? Lui demandais-je, tout en lui traçant, à même la table, près de l'ouverture pour encrier de son côté, une esquisse au crayon noir, à main levée, de notre emblème national. Quelle fierté : notre drapeau. Un petit rectangle que je partage en deux en ajustant un croissant et une étoile bruts à leur place. Sans rien me dire, sans m'avertir, sans rien me reprocher, il se leva et alla vers la maîtresse. Elle se pencha pour l'écouter et rejoignit ma table en suivant Mohammed qui lui montra mon griffonnage national. Elle me montra le dessin et me demanda qui l'avait fait. J'avais nié d'un bloc. C'est comme les vrais moudjahidines, pour les avoir vus. Elle insista une ou deux fois puis me prit par le bras et me mit au piquet durant toute la leçon qui, d'ailleurs, fut courte et elle aborda un jeu. Il s'agissait d'un objet en papier fort qu'il faut découper, plier et reconstruire en une chose que ma curiosité d'enfant m'éperonnait à la trouver. Elle le tournoyait par un fil à la manière d'une fronde et cela donnait un bruit d'un avion. Trop curieux pour mon âge, je ne pouvais pas me retenir et tournais la tête pour avoir une idée nette sur ce qui se tramait sans moi. Mais c'était un rappel à la punition par un léger coup de baguette sur la tête et un réajustement de la punition en levant le pied ou les mains bien hauts. L'institutrice, je l'avais connue plus tard, était anticolonialiste.
Elle se maria à un milianais, vécut en Algérie et mourut à Miliana. Elle m'avait puni pour mon indiscrétion qui pouvait lui coûtait quelques désagréments. Elle ne voulait pas être impliquée dans ce genre de chose tant la loi était, à mon avis, stricte en ce sens. Elle pouvait me présenter au directeur de l'école qui fera suite avec les autorités militaires. Je ne pensais pas qu'il aurait pu faire chose pareil. On imaginera facilement la suite. Mon quartier aurait été passé au peigne fin. Tous les éléments mâles de la famille torturés ou exécutés. Mon avenir scolaire aurait eu une perspective que je n'aimerais même pas y penser. Ou à la moindre mesure recevoir une raclée comme le furent certains de mes amis pour avoir tracé le même symbole national. Son geste était pour moi, un salut. Elle me faisait éviter une fessée. On aurait facilement brûlé notre maison. Il paraît qu'elle était originaire d'une famille qui résidait Aïn-Turqi. Dans l'affirmatif, est-ce l'insurrection de 1902 de cette localité qui l'avait marquée par l'injustice coloniale ? Qui le saura ? Elle a vécu et mourut algérienne. Bon anniversaire.